"Il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens"

Van Gogh, Branche d'amandiers en fleurs, 1890

Si l’on demandait aux gens de choisir entre une vie sans amour et une vie sans art, la grande majorité répondrait de façon assurée : « je préfère une vie sans art à une vie sans amour. » Et ils auraient raison.

L’amour précède l’art et le dépasse.

L’être humain ne peut pas vivre sans amour. Il faudra que tout homme ou toute femme ait été aimé au moins une fois dans sa vie pour prendre part à l’humaine expérience. Qu’il ait été l’objet de soin et d’attention, qu’on lui ait transmis le sentiment de sa valeur. Sans cela, pas d’identité ni de langage possible. L’homme sans amour est une fiction.

Si l’amour est la condition première à l’expérience humaine, il est aussi la condition première à l’expérience de l’art. Notre homme fictif privé d’amour, s’il pouvait exister, serait insensible à la beauté, qu’elle soit un artefact ou une création de la nature. Il ne serait pas capable d’imaginer la beauté. L’amour seul peut rendre la beauté perceptible par l’homme.

Mais qu’en est-il de l’art ? L’homme peut-il vivre sans art ? Même privé d’art, il pourra trouver refuge dans la beauté : celle d’un visage, d’un paysage ou d’un oiseau. La beauté de la nature n’a rien à envier à celle des oeuvres d’art : elle gagne en pureté ce qu’elle perd en sophistication. La nature crée la suprématie des formes nécessaires.

Pourtant le besoin de créer de la beauté, de représenter d’une façon figurative ou abstraite ce que le monde dépose en soi, ce besoin existe depuis la naissance de l’homme.

Une main négative sur la paroi d’une caverne.

Des chevaux peints à la robe tachetée.

Un morceau d’os aux rondeurs féminines.  

Sans doute l’homme sans art peut-il exister, mais aura-t-il accompli son destin d’homme ? Ou vivra-t-il comme un loup né en cage, ignorant sa nature profonde ?

A présent imaginons un prisonnier enfermé dans une cellule pour un crime atroce. Haï de tous, il vit dans le mépris de lui-même. Sans doute a-t-il été aimé un jour : par une mère, un grand-père ou une petite amie. Des amours maladroits, qui sont sortis de sa vie par lassitude ou par chaos. Mais c’est sur ces bribes d’amour qu’il a bâti les débris de son identité bancale, et dans les défaillances de ces amours que se sont coulés la rage et la violence.

Cet homme à présent privé d’amour et de liberté, de quelle alternative dispose-t-il pour se réinventer un destin ? Comment pourra-t-il encore donner un sens à sa vie ? L’amour n’est plus pour lui qu’un lointain et douloureux souvenir. L’art est sa seule issue. L’humanité qui résiste et palpite en lui pourra peut-être s’émouvoir quand il entendra une musique familière ou quand il déroulera le fil d’un roman dans sa tête. Cette émotion sera réparatrice.

Bien sûr n’y aura pas de miracle : la rage et la violence règneront toujours en maître dans son coeur. Mais de cette rencontre avec l’art renaîtra un instant peut-être le souvenir et le goût de l’amour. Un instant de retrouvailles avec la meilleure part de son être.

L’art a le pouvoir de rendre la beauté accessible à tous, à chaque instant.

L’amour précède l’art et le surpasse. L’art régénère l’amour et le fortifie.

* "Il n'y a rien de plus réellement artistique que d'aimer les gens" : la citation est de Vincent Van Gogh, dans une lettre à son frère Théo.