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Du Lien par l'Art

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La culture au service du développement des territoires et des personnes


Nouvelles pratiques de mutualisation et de coopération dans le secteur culturel (synthèse du rapport)

Publié par Annabelle Couty sur 2 Novembre 2014, 08:01am

Catégories : #politique culturelle

Nouvelles pratiques de mutualisation et de coopération dans le secteur culturel (synthèse du rapport)

Marie Deniau a réalisé pour la Deps une étude exploratoire sur les dynamiques coopératives dans le secteur culturel. Malgré la complexité mouvante du sujet, le rapport dresse une typologie de ces différentes pratiques et tente d'identifier leurs conditions d'émergence ainsi que les écueils à éviter.

Typologie des différents modes de mutualisation et de coopération

On entend par "mutualisation" le partage d'outils, de compétences et de méthodes ; le terme de "coopération" quant à lui, désigne plutôt un "agir ensemble", la définition et la conduite d'un projet en commun. Dans son rapport, Marie Deniau classe ces nouvelles pratiques en 6 grandes catégories :

  • Les clusters, grappes d'entreprises ou pôles regroupent des organisations appartenant à une même filière (le plus souvent musiques actuelles ou audiovisuelle) et se rassemblant en un lieu pour partager des ressources et des projets communs. Il en existe à Toulouse (Ma Sphère), Saint-Etienne (Culture & Coopération), Clermont-Ferrand (Le Damier)... Le Mila est un réseau d'entreprises musicales indépendantes porté par la mairie du 18e arrondissement de Paris dans le cadre du projet de réhabilitation d'un quartier. Le dispositif permet la mise à disposition de locaux à des tarifs préférentiels : dix bureaux regroupés au sein d'un "pôle" et quinze boutiques autonomes dans les rues adjacentes. Leurs proximité géographique et professionnelle place les entreprises dans une logique de rencontres, d'échanges et de synergie. Le Mila est géré par une association chargée de recruter les candidats. En plus de services mutualisés (salles de réunion, réductions auprès de partenaires...), il propose un accompagnement informel et joue un rôle indispensable d'animation pour faciliter les échanges et la coopération entre structures. Si les difficultés financières limitent l'efficacité du dispositif, les bénéfices pour les entreprises hébergées sont réels : réduction de l'isolement et de certains coûts, gain en visibilité, hausse de la légitimité, etc. 
Nouvelles pratiques de mutualisation et de coopération dans le secteur culturel (synthèse du rapport)
  • Les coopérations de production et de diffusion dans le spectacle vivant :  des organismes culturels mutualisent leurs moyens financiers, leurs expertises artistiques et leurs capacités d'accueil pour une prise en charge collective de créations artistiques, voire le partage des risques de production et des résultats d'exploitation sur plusieurs années. Il s'agit le plus souvent de regroupement de programmateurs de spectacle vivant. Ainsi, le collectif En jeux rassemble une vingtaine de programmateurs du Languedoc-Roussillon qui mutualisent leur capacité de production et d'exploitation pour soutenir des compagnies régionales et les accompagner dans la diffusion de leurs spectacles. Si le dispositif rencontre des difficultés (diversité des membres ne facilitant pas la dynamique d'échanges, manque de temps...), il permet la production et la diffusion de 6 spectacles chaque année et facilite le contact entre compagnies et programmateurs régionaux. Le rôle de Réseau en scène Languedoc-Roussillon a été également décisif, tant en terme financier que pour l'organisation des premières réunions. 
  • La mutualisation de solutions web, plateformes internet collaboratives et interfaces mutualisées : un des exemples les plus anciens est celui d'Artishoc, fédérant 30 structures culturelles autour d'une plateforme numérique mutualisée de solutions numériques (expertise, site internet et applications mobiles, réseaux sociaux, relation au publiques, etc.). Ce type d'initiative existe aussi bien dans le secteur de l'édition (Librest ou Cairn) que de la musique, avec l'apparition depuis quelques années des premières plateformes régionales de streaming musical (1D-Rhône-Alpes, 1D-Paca, 1D-Aquitaine, 1D-Pays-de-la-Loire) fédérant des labels indépendants et nouant des partenariats avec des bibliothèques, des salles de concerts ou des lycées. Autre exemple : la SARL Live Boutique qui rassemble 10 producteurs de spectacles au sein d'une vitrine commune sur internet. Outre la plateforme en ligne, les membres s'échangent des informations leur permettant de partager du matériel, des campagnes d'affichage... De nouvelles expérimentations ont lieu, comme la création du festival Fédéchanson en lien avec la Fédération des festivals de chanson française. 
  • La mutualisation d'emplois s'est développée grâce à de nouveaux dispositifs permettant le partage de postes entre plusieurs employeurs : le groupement d'employeurs (GE) et les coopératives d'activités et d'emplois (CAE). Il existe 5 CAE culturels : Artenréel (Alsace, 2004), Clara (Paris, 2007), Chrysalide (Bretagne, 2009), Artefact (Centre, 2010) et Appuy Culture (Auvergne, 2014). Artenréel accompagne des personnes qui souhaitent tester et développer une activité culturelle : le porteur de projet est salarié en CDI de la CAE qui facture les ventes, encaisse les règlements et porte la responsabilité juridique de ses actes. Fonctionnant sous forme de SCOP, employant 6 salariés, elle offre aux entrepreneurs salariés un ensemble de services mutualisés. Son fonctionnement nécessite le soutien financier de plusieurs partenaires : DRAC, Région, Département, Ville de Strasbourg et Union Européenne.

Une présentation vidéo de la Coopérative Artenréel

  • De nouveaux outils de commercialisation mutualisés ont été inventés par les libraires indépendants qui se sont regroupés sous forme d'associations à l'échelle régionale ou locale. Ils mènent ensemble des opérations de communication ou des actions culturelles. Face au développement du commerce en ligne, quelques-uns ont fait le choix d'une plateforme mutualisée de vente en ligne. C'est le cas de l'association Librest (libraires de l'est parisien) qui a créé un groupement d'intérêt économique (GIE) et un site internet commun permettant de mutualiser leur stock, leurs critiques de livres et leur communication. En 2009, le groupement rachète La Générale du Livre et intègre ainsi le métier de grossiste et le site de vente LaLibrairie.com (plateforme de vente en ligne avec livraison dans les points de vente adhérents). Cette évolution a été critiquée par certains qui y voyaient une menace pour les librairies de plus petite taille, notamment dans le cadre de la réponse aux appels d'offres. Mais Librest est souvent sollicité pour partager son expérience et ses savoir-faire auprès d'autres associations de libraires.
  • Les réserves mutualisées sont un autre exemple de collaboration entre structures, cette fois-ci dans le secteur du patrimoine. Elles ont été favorisées par trois facteurs : le renforcement des normes de conservation, la nécessité de limiter les coûts d'investissement et l'intérêt croissant des collectivités territoriales pour leurs richesses archéologiques et patrimoniales. Le Centre de conservation et d'études archéologiques (CCEA) de Soissons en est un bel exemple : le service régional archéologique de la DRAC, le Centre d'études des peintures murales romaines et le musée de Soissons ont décidé de rassembler leurs réserves en un nouveau bâtiment,  qui accueille également des salles de travail et d'étude à usage partagé et permet une mutualisation des compétences. Des projets de réserves mutualisées concernent également le champ muséal, mais souvent avec plus de difficultés. Les bénéfices sont pourtant réels : ainsi, les réserves mutualisées des musées de Marseille ont permis une amélioration de la gestion et de la valorisation des oeuvres (numérisation, récolement, fusion des bases de données, expositions en ligne).

Comme le précise Marie Deniau dans son rapport, d'autres types de mutualisation existent au-delà de ces 6 catégories : rapprochement de structures pour la création d'un événement ou la constitution d'une structure unique (par exemple une SMAC de territoire), création d'un EPCC culturel, mise en réseau de lieux patrimoniaux...

 

Analyse du phénomène : contexte, conditions d'émergence, écueils

Contexte. Dans la suite de son rapport, Marie Deniau s'attache à analyser les conditions d'émergence de ces nouvelles pratiques de coopération, favorisées par un contexte culturel en pleine évolution : développement des NTIC, importance de l'organisation par projet, changements en terme de réglementation de l'intervention publique (place croissante des appels d'offres, nouvelle loi sur l'Economie sociale et solidaire). Le plafonnement des financements publics  a également joué un rôle incitatif, tout comme la hausse du nombre de structures culturelles, souvent de très petites tailles (2 établissements culturels sur 3 ont moins de 2 salariés) et la fragilité de l'emploi. Les organismes qui se rassemblent le font donc tout d'abord en réponse à des conditions économiques et sociales changeantes, même si émerge parfois un désir de créer et de produire ensemble. 

Conditions d'émergence. Un climat coopératif est favorisé par  l'existence de carrefours, de lieux et d'acteurs favorisant les rencontres et les échanges, d'où le rôle incitatif de structures territoriales telles que les associations départementales ou les agences régionales. Le rôle des pouvoirs publics est important tant dans le financement que dans l' accompagnement de ces initiatives. Des aides publiques inadaptées peuvent à l'inverse poser problème, notamment lorsqu'un financement versé uniquement au démarrage de l'initiative ne permet pas sa pérennisation. 

Les projets de mutualisation et de coopération fonctionnent bien quand les règles ont été parfaitement définies au préalable : il est important de clarifier les objectifs communs et les rôles et responsabilités de chacun, par exemple avec la rédaction d'une Charte. La définition d'instances de pilotage adaptées est également cruciale : la coordination peut être assurée par chaque membre sans création de postes, par un ou plusieurs membres plus solide ou par la création de postes au sein d'une structure autonome.

Ecueils. Parmi les principaux écueils, on trouve le défaut d'implication des partenaires, qui peuvent manquer de temps et de moyens, craindre de perdre leur identité ou faire montre de défiance vis à vis d'évolutions. La mutualisation demande de l'investissement et des compétences spécifiques dont les structures ne disposent pas toujours. Elle nécessite d'avoir une vision à long terme quand certains regroupements ont été précipités pour bénéficier d'un nouveau dispositif d'aide publique. La lourdeur et la complexité de fonctionnement sont parfois cités comme éléments décourageants, d'autant plus lorsqu'il s'agit de structures éloignées géographiquement ou artistiquement.

 

Quels sont les bénéfices de ces nouvelles pratiques de mutualisation ?

A ce jour, les résultats de ces nouvelles pratiques n'ont pas été proprement évalués : un travail rigoureux de quantification reste à faire. Marie Deniau distingue trois types d'économies qui pourraient être permises par la mutualisation :

- les économies d'envergure, réalisées lorsqu'une seule entité fournit plusieurs services ou plusieurs biens : c'est le cas par exemple de Librest ;

- le gain d'efficacité économique, lorsque la production de biens et de services nécessite moins de moyens, que leur qualité augmente ou qu'ils ont été produits en plus grande quantité tout en contenant l'augmentation des coûts : on retrouve ce type d'économies dans les exemples du CCEA de Soissons ou de Live Boutique, ou encore lorsqu'un réseau de bibliothèques offre un nouveau service aux usagers (le prêt inter bibliothèque).

- l'économie d'échelle, qui repose sur l'idée qu'un volume plus important de production permet de diminuer le coût unitaire de chaque produit, se révèle plus difficile à établir. En effet, la mutualisation a un prix (coordination, gestion...), surtout à son démarrage, et il faut attendre 5 à 10 ans avant de pouvoir tirer des conclusions sur les économies d'échelle réalisées.

Marie Deniau ajoute donc à ces principes économiques la notion de surplus coopératif, qui résume tout ce que peut apporter la coopération aux structures qui y participent et à leurs publics, au-delà des seules considérations économiques : développement de nouvelles activités, amélioration des services, projets plus ambitieux, prises de risques, gain de visibilité et de légitimité, partages de savoir-faire, création et stabilisation d'emplois, amélioration des conditions de travail... Ainsi, même si des travaux d'analyse et d'évaluation de ces nouvelles pratiques restent à produire (avec des spécialisations par type de rapprochement ou par secteur), on peut d'ores et déjà affirmer que ces synergies jouent un rôle essentiel dans la préservation de la diversité et de la richesse de la vie culturelle française : elles permettent à des initiatives locales, portées par des acteurs parfois fragiles, de se structurer et de trouver leurs publics dans un contexte où celles-ci se voient de plus en plus menacées par la baisse des financements.

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