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Du Lien par l'Art

Du Lien par l'Art

La culture au service du développement des territoires et des personnes


Le 104 est-il un modèle de "tiers lieu" réussi ?

Publié par Annabelle Couty sur 13 Décembre 2014, 07:43am

Catégories : #politique culturelle, #culture & social

Photo Henriette Desjonquères et Paul FarguesPhoto Henriette Desjonquères et Paul Fargues

Photo Henriette Desjonquères et Paul Fargues

Depuis l'arrivée de José Manuel Gonçalvès à la tête de l'équipement en septembre 2010, la presse ne tarit plus d'éloges pour le 104 : de cet équipement culturel parisien où l'on "cultive la mixité sociale" (Libération), on a pu lire qu'il inventait "un nouveau vivre ensemble" (Télérama). Serions-nous devant le parfait exemple de "troisième lieu", concept chéri des politiques culturelles innovantes ?

Qu'est-ce qu'un tiers lieu ? 

Le tiers lieu (ou troisième lieu) est une traduction du concept de third place défini par le sociologue américain Ray Oldenburg dans son ouvrage The Great, Good Place (1980). Il désigne un espace distinct de la sphère privée (le foyer) et du lieu de travail, un espace de mixité où la société civile échange et se rencontre quotidiennement. Le problème, c'est que ce lieu indispensable au vivre ensemble et à l'exercice démocratique est remis en cause par les mutations urbaines et sociales : usage croissant de la voiture, individualisation des modes de vie, disparition des rituels sociaux... Si les cafés, les places ou les parcs sont des exemples courants de troisième lieu, leur fonction d'échange social s'est dangereusement appauvrie. 

En matière d'équipements publics, ce concept a connu une notoriété grandissante dans le champ bibliothéconomique : la "bibliothèque troisième lieu" désigne une bibliothèque aux larges horaires d'ouverture, au design attractif et à l'aménagement confortable, proposant une offre culturelle diversifiée et non élitiste, et où l'on dispose d'espaces variés pour lire, jouer, discuter, écouter de la musique, se former... Dans les pays nordiques, aux Etats-Unis ou en Angleterre, de nouveaux modèles de bibliothèques sont apparus répondant à cette définition... suivis quelques années plus tard par la France. 

Bibliothèque Idea Store (Londres), Bibliothèque Louise Michel (Paris)Bibliothèque Idea Store (Londres), Bibliothèque Louise Michel (Paris)

Bibliothèque Idea Store (Londres), Bibliothèque Louise Michel (Paris)

Au-delà des bibliothèques, le concept de "tiers lieux" s'est répandu à toutes sortes d'espaces collectifs, répondant au besoin de lien social et d'invention de nouveaux modèles collaboratifs : espaces de co-working, fab-lab, cafés culturels participatifs... La vidéo ci-dessous, réalisée dans le cadre du festival ROUMICS (Lille, 2013), présente le foisonnement des initiatives relevant de la dynamique tiers-lieu. 

Pourquoi le 104 est-il un numéro gagnant ?

Le 104 est un troisième lieu culturel global, qui cumule dimension sociale et culturelle, activités économiques et expérimentations en tout genre. A son ouverture en 2008, l'ancien bâtiment des Pompes Funèbres situé dans un quartier populaire du 19e arrondissement de Paris ne trouve pas son public : ce grand hall froid fait office d'enclave bobo. Puis c'est l'arrivée de José Manuel Gonçalvès à sa tête, l'explosion populaire et le succès médiatique, avec plus de 500 000 visiteurs par an, bien plus si l'on compte les passants et la clientèle commerciale. Quelle est la recette de ce succès ? 

L'espace : ampleur, modularité, décontraction. Le 104, c'est avant tout un bâtiment immense (39 000 m2), deux grandes halles industrielles séparées par une cour intérieure. Un espace doté d'une personnalité sans pour autant être un temple de la culture immuable. Son caractère industriel est un atout, tout comme son extrême modularité. On s'y assoit par terre ou dans un transat. On participe à de grands rassemblements ou à des réunions intimistes. Un espace ouvert sur la ville, que l'on traverse comme une grande place, librement et sans contrôle.  

La diversité des activités. La programmation du 104 est faite d'événements artistiques et culturels dans des espaces dédiés (expositions de photographies ou d'art contemporain, spectacles et concerts...), mais aussi d'activités de tout genre qui prennent avantageusement possession des espaces modulables du lieu : un marché bio ou des cours de Qi Gong chaque week-end, un grand bal populaire tous les mois, un festival de musiques électroniques, le salon mondial du tatouage... On y trouve également un espace culturel pour les tout-petits, une grande librairie, une boutique Emmaüs, un restaurant et un café, un incubateur d'entreprises innovantes, un fab-lab, des boutiques éphémères et des food trucks... Ces différentes activités permettent de s'adresser à un spectre très large de publics qui, par la force des choses, se croisent. 

Cours de Qi Gong et Bal populaire au 104 (deux activités régulières proposées gratuitement à tous)Cours de Qi Gong et Bal populaire au 104 (deux activités régulières proposées gratuitement à tous)

Cours de Qi Gong et Bal populaire au 104 (deux activités régulières proposées gratuitement à tous)

La culture au sens large. A travers la diversité de ses activités, l'établissement semble parvenir à faire la synthèse entre culture populaire et culture élitiste.  On a même tendance à ne plus savoir bien faire la distinction, dans un lieu qui accueille indifféremment Claude Régy, Keith Haring, des DJs du Carnaval Electro, l'Orchestre de Chambre de Paris... Au 104, culture rythme aussi bien avec art contemporain qu'avec gastronomie, sport ou magie. Un exemple : à l'occasion du mondial de foot 2014, le 104 a installé des terrains de foot et invité le collectif Tatane "pour un football durable et joyeux" à commenter de façon décalée les matchs diffusés sur grand écran. Car au 104, se plonger avec plaisir dans la culture populaire ne signifie pas forcément éteindre son cerveau...  

Une large place donnée à la création contemporaine et aux artistes émergents ou reconnus, accueillis en résidence chaque année : écrivains, danseurs, comédiens, musiciens, circassiens, plasticiens sont invités à rencontrer le public à diverses occasions. Plusieurs types de résidences leur sont proposées, avec parfois la production et l'accompagnement à la diffusion. Ce rôle de soutien aux artistes émergents se traduit également par de nombreux partenariats : le festival Impatience (pour les jeunes compagnies de théâtre), les Ecoles Nationales des Beaux-Arts et des Arts Décoratifs, l'Ecole Nationale des Arts du Cirque de Rosny (etc.) rayonnent dans son giron .

Gratuité et tarifs attractifs. Le lieu est libre d'accès et il y a toujours quelque chose à y voir ou à y faire. Si les expositions et la plupart des concerts sont payants, les tarifs sont plutôt raisonnables (5 € en tarif plein pour une exposition). Pour chaque exposition accueillie, certaines oeuvres sont visibles aux yeux de tous, histoire de donner un avant-goût à ceux qui n'iront pas s'acheter un billet d'entrée. Et puis il y a toujours des activités gratuites : bal populaire, répétitions publiques, cours de Qi-Gong,  événements festifs etc. 

Un atout majeur : l'ouverture aux pratiques artistiques spontanées. Comme souvent, c'est une idée simple qui a été à l'origine du succès du 104 et a forgé son  identité : en l'occurrence, celle d'offrir ce grand espace autrefois froid et vide à quiconque qui souhaite y pratiquer son art. C'est gratuit, sans inscription, et cela marche : qu'ils soient danseurs de hip-hop, apprentis comédiens du Cours Florent ou jongleurs, ils donnent au 104 sa joyeux effervescence . Voir la vidéo réalisée par Libération sur les pratiques spontanées au 104.

Enfin, le dernier ingrédient de la recette du succès du 104 est peut-être le plus difficile à obtenir et à conserver : le renouvellement des propositions, qui permettra à l'établissement de se maintenir sur le terrain de l'expérimentation. Exercice indispensable sous peine de voir son succès se retourner contre lui : en effet, une trop forte institutionnalisation du 104 ne pourrait que nuire à cette belle institution parisienne. L'inventivité de son directeur et les nombreux partenariats sur lesquels il s'appuie ont permis jusqu'ici  de relever le défi haut la main. Une des nouveautés de l'édition 2014, en partenariat avec Télérama, fut par exemple de proposer un troc de produits culturels : lors d'une demi-journée, chacun a pu venir au 104 échanger ses biens culturels (CD, DVD, livres, affiches...). Une idée simple, à faible coût, et qui a l'irrésistible avantage de placer les visiteurs au coeur même du dispositif, dans un esprit convivial et participatif.
 

Une utopie inachevée

Fort de ces atouts, il se passe au 104 des rencontres qui se produisent peu ailleurs. Dans cet univers à l'esprit insolite, à la fois stimulant et sécurisant, l'harmonie des pluriels est rendue possible : le bobo, le carrément bourgeois et le jeune des cités (s'il faut employer des clichés...) se côtoient dans la bonne humeur. Cela est déjà une (belle !) victoire. Une victoire également, de proposer un équipement culturel duquel personne ne se sente exclu.

Pourtant, le 104 demeure une utopie inachevée, qui ne peut corriger en un tour de magie le cloisonnement de la société française et son déficit démocratique. Les occasions de véritables échanges entre les différents publics restent rares, et les pratiques culturelles qui s'y déroulent restent conditionnées socialement : le public des expositions d'art contemporain ne ressemble pas à celui des pratiques spontanées. Trois pistes pourraient être développées afin de répondre à ces enjeux :

  • Renforcer la présence des artistes dans le lieu : si des rencontres avec les artistes accueillis en résidence ont lieu, ces temps de dialogues et de valorisation gagneraient à être augmentés : en effet, l'échange avc les artistes reste un des moyens les plus directs et efficaces pour rendre l'art accessible. 
  • Multiplier les occasions d'échanges et de rencontres entre les différents publics, avec des événements conviviaux et fédérateurs. Autres pistes : une application numérique permettant l'émergence d'une "communauté" d'utilisateurs du lieu, ou la création d'occasions formalisées d'échanges entre les artistes des pratiques spontanées et les visiteurs.
  • Inventer de nouvelles modalités de participation du public au projet et à la programmation du 104 : valorisation des pratiques amateur, formation de visiteurs-citoyens à la médiation culturelle pour qu'ils deviennent eux-même médiateurs bénévoles du lieu, création d'un comité artistique citoyen...

En répondant davantage à ces enjeux, le 104 pourrait pousser l'utopie encore un peu plus loin et devenir un véritable laboratoire de citoyenneté par l'art.

Quoi qu'il en soit, bien qu'il ne se soit jamais ouvertement revendiqué comme tel, le 104 est un bel exemple de tiers-lieu culturel, dont le volet participatif pourrait être davantage développé (sans toutefois perdre son expertise artistique). Si d'aucuns pourraient s'agacer de la sempiternelle référence au troisième lieu comme modèle absolu de l'équipement culturel, on peut au moins souhaiter que le concept serve de cadre de pensée pour concevoir l'action publique d'aujourd'hui et de demain, qu'elle soit culturelle ou non.

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B
Tiers lieu culturel ? <br /> <br /> En tout cas pour la mixité sociale c'est raté Très peu de seniors<br /> <br /> DANS l'espace libre la culture se résume au rap et au rollers que l'on peut voir dans d'autres lieux à Paris<br /> <br /> Si on veut mettre du Jazz ou du tango on se fait éjecter vite fait
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